Monsieur de Sant Simon ou les Potins de la Commère
Curieusement,
il n’existe pas de masculin au sens actuel de commère puisque compère évoque
tout autre chose. D’autant plus qu’on
imagine mal monsieur de Saint-Simon si fort imbu de ses titres et de sa noblesse, admettre dans son entourage un
« compère ». Même si on garde à ce mot tout son sens de parité,
monsieur de Saint-Simon estimait n’avoir que fort peu de pairs ; ses
écrits en témoignent.
Le
long règne de Louis XIV fut commenté par trois principaux chroniqueurs, dont
deux étaient des femmes : madame de Sévigné aux belles lettres, la
princesse Palatine, seconde épouse de Monsieur frère du Roi et pour la fin du
règne, monsieur de Saint-Simon, vidame de Chartres, puis duc à la mort de son
père.
Nous
avons dans notre région si mal nommée « Centre », deux écrivains de poids qui, comme par
hasard, sont deux chroniqueurs. Je m’explique : Marcel Proust était
fervent lecteur de Saint-Simon et qu’est-ce que la « Recherche du Temps Perdu» sinon
une vaste chronique d’une époque et d’un milieu par un écrivain au style
parfois aussi incisif que celui de son prédécesseur et modèle.
Proust
portait sur la haute société de son temps un regard d’admiration narquoise tout
comme Saint-Simon du haut de son titre considérait la Cour et les grands de ce
monde sans aucune aménité.
Ce
même regard était aussi celui de la Comtesse de Ségur, autre grand écrivain
local. Car au fond, ses romans destinés aux enfants sont aussi une chronique de
son époque et les portraits qu’elle brosse , dans leur réalisme, ne sont pas
toujours flatteurs. Donc notre région est fertile en chroniqueurs, mais
revenons à celui qui nous occupe ici.
Inutile
de retracer un portrait précis qu’on trouve sans peine sur wiki et regardons
Louis de Saint-Simon comme on considérerait un voisin. Un voisin dont la
demeure n’est plus aujourd’hui qu’une ruine. Pourquoi ? Qu’est-il arrivé
au domaine de la Ferté-Vidame ?
Remontons
le temps… Ferté signifie forteresse. Toutes les villes, tous les villages dont
une partie du nom est Ferté furent ou sont encore des forteresses.
Quant
à vidame, quelle sorte de titre est-ce là ? Un vidame était le seigneur en
charge de protéger un évêché. Celui dont nous parlons est le plus grand domaine
épiscopal de France : celui de Chartres. Monsieur de Saint-Simon avant
d’être duc, fut vidame de Chartres bien
qu’il n’eût plus grand-chose à protéger. Mais il se trouve que son domaine fut
à deux reprises sur une frontière difficile à garder.
Une
première fois au temps des invasions des vikings. Rollon leur chef, fit
allégeance à Charles, roi de France. On connaît la scène : Rollon devait
en signe de soumission, baiser le pied du souverain, mais pour n’avoir pas à
plier le genou, ce que son sens de l’honneur ne pouvait admettre, il porta le pied à ses lèvres, ce qui ne
manqua pas de déséquilibrer son suzerain. En échange de cette étrange
soumission, il reçut en apanage le duché de Normandie, mais un viking reste un
viking et son désir de conquête sans mesure. Si bien que, pour protéger la
Beauce, une forteresse fut construite sur le futur domaine de notre duc.
Une forteresse de plaine, sans motte féodale, défendue par des douves
alimentées par des marécages voisins, comme le château de Maillebois ou encore celui de Fougères. Rollon et ses
Vikings passèrent et la forteresse resta qui fut bien utile quelques siècles
plus tard pour freiner l’envahisseur anglais.
Il
va sans dire qu’au temps où Claude de Saint-Simon -le père du
chroniqueur-acquit le domaine, sa fonction guerrière était devenue inutile et
que l’évêque de Chartres n’avait plus besoin du secours d’aucun vidame, mais le
château demeurait et le titre également.
Louis,
duc de Saint-Simon écrit aux premières pages de ses « Mémoires » :
« La naissance et
les biens ne vont pas toujours ensemble. Diverses aventures de guerre et de
famille avaient ruiné notre branche, et laissé mes derniers pères avec peu de
fortune et d’éclat pour leurs services militaires : mon grand-père, qui
avait suivi toutes les guerres de son temps, et toujours passionné royaliste,
s’était retiré dans ses terres, où son peu d’aisance l’engagea à suivre la mode
du temps et de mettre ses deux aînés pages de LouisXIII… »
Le
fait est que les deux aïeuls de Louis avaient été ligueurs et avaient longtemps
contre toute prudence, combattu Henri IV. Il ne fait pas bon se trouver du côté
des vaincus et Louis de Saint-Simon le grand-père avait été prié d’aller voir
si le temps était beau sur ses terres et de n’en plus sortir. La famille se fit
oublier pendant un certain temps, puis les deux garçons purent enfin se montrer
à la Cour.
Le
cadet, Claude, père de notre chroniqueur
sut habilement tirer parti du penchant qu’avait LouisXIII pour les jeunes
garçons aimables et qui, comme lui, aimaient la chasse pour gagner la faveur du
roi. Ce qui selon Richelieu, n’était guère difficile : « Un favori,
disait-il, poussait en une nuit comme un potiron ».
Claude
eût l’habileté de savoir durer. Il acquit ainsi une fortune considérable et fit
ériger son fief picard de Saint-Simon en duché pairie. Fief où
vraisemblablement Louis ne mit jamais les pieds pas plus qu’il n’en parla car
son père avait acheté cette terre de la Ferté-Vidame qui fut pendant 120 ans
leur domaine favori.
Louis,
duc de Saint-Simon, s’il ne nous avait laissé ses monumentales mémoires, ferait
partie de ces gens heureux dont on n’a rien à dire puisqu’ils n’ont pas
d’histoire. Il ne connut au cours de sa longue vie d’autres malheurs que ceux
qui sont communs à tous et ne vécut nulles aventures extraordinaires autres que
celles d’un riche aristocrate de son temps. Partageant sa vie entre ses terres
et la Cour.
Existence
qui lui valut toutefois quelques soucis financiers, mais il n’était pas le seul
dans ce cas. Louis XIV avait dans son enfance été fort traumatisé par la Fronde.
D’un tempérament mesquin, rancunier et vindicatif, il n’oublia jamais la
révolte de la noblesse à laquelle avait pris part des membres proches de sa
famille. Sa cousine, la Grande Mademoiselle n’avait pas hésité à faire tourner
les canons de la Bastille contre l’armée royale. Il avait dû supporter l’exil
de Mazarin qui était son parrain et qu’il aimait. Il s’était juré de mettre au
pas tous ses grands seigneurs souvent plus riches que lui ; Fouquet en fit
l’amère expérience. Un moyen simple et
efficace fut de les obliger à paraître à sa Cour et d’y mener un train souvent
au-dessus de leurs moyens. Saint-Simon ne put échapper à la règle.
Claude
son père avait 64 ans lorsqu’il perdit sa première femme qu’il aimait
infiniment. Le chagrin ne l’empêcha pas d’épouser deux ans plus tard Charlotte
de l’Aubespine qui lui donna le 16 janvier 1675 sous le signe du Verseau, un
fils auquel il décerna le titre de vidame de Chartres. C’est ainsi que le jeune
Louis, dès ses premières années, s’attacha à la Ferté où contrairement aux
usages de son temps, sa mère veillait sur lui avec tendresse. Louis fut un
enfant heureux.