A vous, amis des contes, des légendes, des êtres et des lieux étranges; amis des jardins, des champs, des bois , des rivières ; amis des bêtes à poils, à plumes ou autrement faites ; amis de toutes choses vivantes, passées, présentes ou futures, je dédie cet almanach et ses deux petits frères: auboisdesbiches et gdscendu.

Tantôt chronique, tantôt gazette, ils vous diront le saint du jour, son histoire et le temps qu’il vous offrira ; ils vous diront que faire au jardin et les légendes des arbres et des fleurs. Ils vous conteront ce qui s’est passé à la même date en d’autres temps. Ils vous donneront recettes de cuisines et d’élixirs plus ou moins magiques, sans oublier, poèmes, chansons, mots d’auteurs, histoires drôles et dictons… quelques extraits de livres aimés aussi et parfois les humeurs et indignations de la chroniqueuse.

Bref, fouillez, farfouillez, il y a une rubrique par jour de l’année. Puisse cet almanach faire de chacun de vos jours, un Bon Jour.

Et n'oubliez pas que l'Almanach a deux extensions: rvcontes.blogspot.fr où vous trouverez contes et légendes de tous temps et de tous pays et gdscendu.blogspot.fr consacré au jardinage et tout ce qui s'y rapporte.

samedi 27 juillet 2013

En hommage à Bernadette, de la part de Claude

Bernadette Lafont dans «Jusqu’à plus soif» (1962), de Maurice Labro.  RUE DES ARCHIVES/COLLECTION CSFF


   Deux corps de femme auront incarné l'apparition d'une nouvelle sensualité, d'un scandaleux et incendiaire " sex appeal ", sur les écrans de cinéma français des années 1960. La blonde Brigitte Bardot et la brune Bernadette Lafont. Moins " iconique ", moins idéalisée, moins belle peut-être, mais plus intense, plus spontanée, plus entreprenante, plus facétieuse, plus bizarre, plus inquiétante, la brune s'est éteinte jeudi 25 juillet au matin, à l'âge de 74 ans, au CHU de Nîmes, où elle avait été hospitalisée à la suite d'un malaise.

   Très triste matinée pour le cinéma français. C'est qu'elle était diablement attachante, Bernadette Lafont, qui incarnait une liberté, une insolence, un goût du risque et un mépris de la bienséance dont on sent bien à quel point ils manquent aujourd'hui, dans une époque à la fois vendue et pudibonde.

   Lafont, avec son prénom de sainte, entre par effraction dans un milieu qu'elle électrise d'emblée d'une aura diaboliquement sexuée. Née le 28 octobre 1938 à Nîmes, elle est la fille de pharmaciens bourgeois, protestants et cévenols, et rêve de glamour hollywoodien. Autant dire qu'elle ne ressemble pas à ce qu'elle sera sur l'écran. Magie du cinéma. Car la jeune et sensuelle autodidacte tombe sur une bande de jeunes malotrus qui veulent se faire une place au soleil, et sortir le cinéma français de la naphtaline littéraire en mettant sur l'écran des corps jamais vus, accordés à la pulsation de la vie, dédaigneux des traditions, vibrants de tout l'éclat d'une jeunesse décidée à s'approprier le monde. Elle entre, en un mot, dans le cénacle de la Nouvelle Vague. C'est Gérard Blain, épousé à 18 ans, acteur à fleur de peau, puis remarquable cinéaste, qui l'y introduit. Un an plus tard, elle lui donne déjà la réplique dans Les Mistons (1957), de François Truffaut, court-métrage lyrique et cruel, très renoirien.

   Tourné à Nîmes, le film met en scène un jeune couple amoureux en butte aux tracasseries d'une bande de galopins, fascinés jusqu'à l'obscénité par la beauté inatteignable de " Bernadette ". Qui ne se souvient de l'ouverture de ce film, succession de travellings arrière sur mademoiselle Lafont dans la fleur de sa beauté, pédalant pieds nus sur son vélo, cheveux bruns coupés court, boléro blanc remontant sur son ventre, cuisse nue sous sa jupe flottant au vent ?

   Trois Chabrol enfoncent le clou. Elle est Marie, maîtresse d'un salaud malheureux dans Le Beau Serge (1958), Jane, petite vendeuse cynique et délurée dans Les Bonnes Femmes (1960), Ambroisine, instrument fatal de séduction d'une vengeance virile dans Les Godelureaux (1961). Le succès de la Nouvelle Vague va néanmoins rapidement refluer, et elle suit en quelque sorte le mouvement. Une succession de films de seconde zone ainsi qu'un second mariage, avec le sculpteur hongrois Diourka Medveczky, y suffisent. A 24 ans, voilà Bernadette mère de trois enfants. Parmi eux, Pauline, future actrice, qui mourra tragiquement en 1988 d'un banal accident dans les Cévennes.

   L'actrice revient sur le devant de la scène avec La Fiancée du pirate (1969), de Nelly Kaplan, une farce féministe et surréaliste post-soixante-huitarde où la belle Bernadette, incarnant une pauvre fille qui se venge des humiliations, passe les notables à la moulinette de ses irrésistibles atours. Le film scelle son retour sur une sorte de malentendu, car Bernadette Laffont prend plus essentiellement part à cette époque à des œuvres autrement radicales, signées Philippe Garrel (Le Révélateur, 1968), Marc'O (Les Idoles, 1968) ou Jacques Rivette (Out One, 1971-1972). Le sommet de sa carrière est ainsi atteint avec La Maman et la Putain (1973) de Jean Eustache, chef-d'œuvre en même temps que trou noir du cinéma français, où elle interprète aux côtés de Jean-Pierre Léaud et de Françoise Lebrun un impossible et bouleversant ménage à trois.

   De ce film intime et politique qui sonne le glas des utopies, elle disait dans Le Monde en 1985 : " Ça a été une expérience très douloureuse en même temps qu'un film magnifique. J'ai voulu, à un moment, arrêter le tournage tellement cette histoire était éprouvante. Je jouais quand même le rôle de la copine du moment de Jean, et je sentais qu'il y avait une telle souffrance là-dessous. Mais Jean ne voulait rien entendre, il menaçait d'arrêter le film si je partais. (...) Au bout du compte, La Maman et la Putain a bien été un film mortel, car la petite amie de Jean s'est suicidée après la première projection. Le film illustre comme aucun autre cette période des utopies qui se sont révélées mortelles. J'ai vu beaucoup trop d'amis rester sur le carreau à cette époque. Et, en même temps, comment renier l'histoire qui est celle de ma génération ? "

   Voilà, tout est dit. Sans doute la vie continuera, ainsi qu'une carrière chiffrée à cent vingt films, autant de téléfilms et presque autant de rôles au théâtre. On la verra un peu partout, toujours curieuse, toujours vivante, chez Claude Miller dans L'Effrontée (1985), chez Jean-Pierre Mocky, chez Raoul Ruiz, chez Pascal Bonitzer et jusque dans Paulette (2012), de Jérôme Enrico, comédie à succès où elle interprétait récemment une vieille dealeuse indigne. Mais toujours, partout, l'aura du mythe cinématographique se surimposait : une fille en noir dont la sensualité rayonnante s'enlève sur un éternel fond de mélancolie.

Jacques Mandelbaum pour Le Monde du 27 juillet 2013
  • Parcours
28 octobre 1938 Naissance à Nîmes
1957 Mariage avec Gérard Blain ;
Les Mistons, de François Truffaut
1958 Le Beau Serge, de Claude Chabrol
1960 Les Bonnes Femmes, de Claude Chabrol
1969 La Fiancée du pirate, de Nelly Kaplan
1973 La Maman et la Putain, de Jean Eustache
1985 L'Effrontée, de Claude Miller
25 juillet 2013 Mort à Nîmes

6 commentaires:

LOU a dit…

Oui bel hommage, c'est si cour une vie, même bien remplie...

LOU a dit…

Oui bel hommage, c'est si cour une vie, même bien remplie...

Michel Turquin a dit…

Une belle actrice , un simple mais efficace talent .Un courage devant les épreuves de la vie . L'anti-star par excellence.
Bise
M

Jeanne Fadosi a dit…

un bel hommage et un souvenir particulier que cette évocation de Jusqu'à plus soif, un film qui a été tourné à Mortagne-au-Perche (Orne) et ses environs et c'était un événement d'importance pour cette petite ville. Une projection spéciale a été faite au cinéma (il y en avait deux à l'époque, il ne doit plus y en avoir du tout) et je me souviens que les habitants du cru étaient très en colère d'avoir été présentés ainsi (poivrots etc ...). Moi je trouve que le film n'est même pas caricatural de cette époque.

Mireille a dit…

Une actrice toujours juste.
C'est un bel hommage que tu lui rends.
C'est bien de l'avoir fait.
Bises

LOU a dit…

Avec un T à cour et ce sera plus long que d'être court !! :(