A vous, amis des contes, des légendes, des êtres et des lieux étranges; amis des jardins, des champs, des bois , des rivières ; amis des bêtes à poils, à plumes ou autrement faites ; amis de toutes choses vivantes, passées, présentes ou futures, je dédie cet almanach et ses deux petits frères: auboisdesbiches et gdscendu.

Tantôt chronique, tantôt gazette, ils vous diront le saint du jour, son histoire et le temps qu’il vous offrira ; ils vous diront que faire au jardin et les légendes des arbres et des fleurs. Ils vous conteront ce qui s’est passé à la même date en d’autres temps. Ils vous donneront recettes de cuisines et d’élixirs plus ou moins magiques, sans oublier, poèmes, chansons, mots d’auteurs, histoires drôles et dictons… quelques extraits de livres aimés aussi et parfois les humeurs et indignations de la chroniqueuse.

Bref, fouillez, farfouillez, il y a une rubrique par jour de l’année. Puisse cet almanach faire de chacun de vos jours, un Bon Jour.

Et n'oubliez pas que l'Almanach a deux extensions: rvcontes.blogspot.fr où vous trouverez contes et légendes de tous temps et de tous pays et gdscendu.blogspot.fr consacré au jardinage et tout ce qui s'y rapporte.

samedi 15 août 2009

vendredi 14 août 2009

La rançon de Mack - O'Henry (fin)



Il devait être environ cinq heures et demie quand je rentrai à la maison. En ouvrant la porte, j’aperçois le vieux Mack, allongé dans ses vieux habits, avec ses chaussettes bleues sur la fenêtre et l’Histoire de la Civilisation sur les genoux.
« On n’a guère l’air ici de se préparer pour une cérémonie nuptiale, dis-je en feignant l’innocence.
-Oh ! dit Mack, en allongeant la main vers le pot à tabac, elle a été remise à cinq heures. Ils m’ont envoyé un mot pour me dire que l’heure avait été changée. C’est fini maintenant. Pourquoi es-tu resté si longtemps dehors, Andy ?
-On t’a parlé du mariage ? demandai-je.
-C’est moi qui l’ai opéré, dit-il. Je t’ai déjà dit que j’étais juge de paix. Le pasteur est parti dans l’Est chez ses parents, et je suis la seule personne en ville qui puisse accomplir les dispensations nuptiales. Il y a un mois que j’ai promis à Eddie et Rebosa de les marier. C’est un garçon actif ; il aura une boutique à lui un de ces jours.
-Il l’aura, dis-je.
-Y avait des tas de femmes à la noce, dit Mack, d’un air détaché. Mais aucune ne semble m’avoir suggéré des inspirations. J’aimerais être au courant de la configuration de leurs talents, comme tu prétendais l’être…
-C’était il y a deux mois », dis-je, en attrapant le banjo.

La rançon de Mack

O’HENRY – Contes du far-West

jeudi 13 août 2009

La rançon de Mack - O'Henry (4)



Alors je me décide à opérer sur le champ. Je sauverai le vieux Mack si je peux. Voir un brave homme impropre et boucané, comme ça, se muer en coquelet pour les yeux d’une fillette qui suce encore son crayon et se boutonne encore dans le dos, c’était plus que je ne pouvais supporter sans réagir.
« Rebosa, dis-je sérieusement, mettant à contribution mes instincts et connaissances des intuitions logiques de la femme, est-ce qu’il n’y a pas un jeune homme à Pîna qui… un beau jeune homme duquel vous fassiez grand cas ?
-Si ! fait Rebosa en secouant ses renoncules. Bien sûr qu’y en a un ! Qu’est-ce que vous croyez ? Seigneur !…
-Est-ce que vous lui plaisez ? demandé-je. Qu’est-ce qu’il est dans le coup ?
-Dingo ! dit Rebosa. Maman n’arrête pas d’arroser les marches de la porte d’entrée pour l’empêcher de s’y asseoir. Mais j’pense que tout ça finira ce soir, ajoute-t-elle avec un soupir.
-Rebosa, dis-je, vous ne ressentez pas pour le vieux Mack le moindre effluve de cette agitation qu’on appelle l’amour, n’est-ce pas ?
-Ah ! Seigneur, non ! s’écrie-t-elle en secouant la tête. Je l’trouve aussi sec qu’un coup de trique. Quelle drôle d’idée !
-Quel est ce jeune homme que vous affectionnez, Rebosa ? demandé-je.
-C’est Eddie Bayles, qu’elle répond. Il est commis chez Crosby l’épicier. Mais il ne gagne que trente-cinq dollars par mois. Ella Noakes était folle de lui, y a pas encore longtemps.
-Le vieux Mack me dit, continuè-je, qu’il va vous passer ce soir à six heures les sacrées menottes de l’hyménée.
-C’est bien l’heure, qu’elle dit. Ca doit avoir lieu chez nous.
- Rebosa, dis-je, écoutez-moi. Si Eddie Bayles possédait mille dollars, mille dollars comptant, vous entendez bien, qui lui permettraient de s’acheter un fond de commerce, si, dis-je, Eddie et vous pouviez présenter la dite somme en guise de prétexte matrimonial, est-ce que vous consentiriez à l’épouser ce soir à cinq heures ? »
La jeune beauté me regarde sans répondre pendant une minute ; et c’est tout juste si je ne lis pas sur sa figure ces cogitations imperceptibles qu’elle est en train de brasser dans son fot intérieur, à la manière des femmes.
« Mille dollars ? qu’elle dit enfin. Bien sûr que j’y consentirais.
-Suivez-moi, dis-je. Nous allons voir Eddie. »
On se rend tous les deux chez Crosby, et on fait sortir Eddie de la boutique. Il a des taches de son et un air passable ; et , aussitôt après avoir écouté ma proposition, il est pris de tremblements nerveux.
« A cinq heures ? qu’il dit. Pour mille dollars ?… Saint Pain d’Epice, ne me réveillez pas ! C’est vous le tonton qu’a fait fortune aux Indes, pour sûr ! J’achèterai le fond au vieux Crosby et je prendrai sa suite. Oh ! chic ! »
Là-dessus nous entrons tous, et nous expliquons le coup au père Crosby. Puis je trace mille dollars sur un chèque et je le lui tends. Si Eddie et Rebosa se mariaient à cinq heures, le chèque était pour eux. Et alors, je leur donne ma bénédiction et je vais me balader dans les bois pendant quelque temps.
Je m’assois sur un tronc, et j’enfante des méditations sur la vie, la vieillesse, le zodiaque, les mœurs des femmes et tout le tohu-bohu qui emberlificote une existence humaine. Et je me congratule d’avoir probablement sauvé mon vieil ami Mack d’une attaque de mididémonite. Je sais qu’il m’en saura gré lorsqu’il se sentira guéri, et qu’il aura répudié son infatuation et ses souliers vernis. Mille dollars, me dis-je, pour rescaper le vieux Mack d’un coup de virus aussi grave, c’est bien payé, mais ce n’est pas trop cher quand même. Et par-dessus tout, je suis heureux d’avoir ainsi poursuivi mes études sur les femmes, et prouvé mon aptitude à déjouer les fourberies de leurs évolutions stratégiques.

Régime sévère.


En août 2002, j'ai calculé que sur six mois, j'avais perdu environ une tonne. A savoir: deux chevaux, un chien, et dix kilos.
PP

mercredi 12 août 2009

La rançon de Mack- O'Henry (3)



Juste à ce moment là passe une jeune femme sur le trottoir ; et je vois Mack qui change de couleur, et s’met la bouche en cul de poule, et qui lève son gibus en souriant et qui s’plie en deux ; et l’autre sourit à son tour, s’incline et s’en va.
« Ton cas, dis-je, est désespéré, si tu as attrapé la féminite à ton âge. Et moi qui te croyais vacciné ! Et des souliers vernis ! Tout ça en deux mois de temps !
- Je vais agglutiner ce soir, dit Mack avec une sorte de minauderie, cette jeune fille dans les sacrés liens du mariage.
- J’ai oublié quelque chose à la poste », dis-je en m’éloignant rapidement.
Cent mètres plus loin je rattrape la jeune créature. Je lève mon chapeau et je me présente. Dix-neuf ans qu’elle paraît, et jeune pour son âge. Elle rougit et me jette un regard glacial, comme si j’étais la neige dans la scène tragique des Deux orphelines.
« Paraît qu’vous allez vous marier ce soir ? que j’dis.
-Exact, qu’elle fait. Vous avez des objections à formuler ?
- Ecoutez, beauté… que j’commence.
-Mon nom est Miss Rebosa Redd, dit-elle d’un air outragé.
-Je l’savais, que j’dis. Eh bien, Rebosa, je suis assez vieux pour avoir du de l’argent à votre père. Et ce vieux ptomaïniaque spécieux, redingoté, nauséeux et gibusé qui se pavane goulûment comme un irrémédiable dindon en souliers vernis, est mon meilleur ami. Pourquoi diable êtes-vous allée l’emmancher dans cette histoire de mariage ?
-Mais, répond Miss Rebosa, c’est la seule chance que j’avais…
-Sans blague ! dis-je en jetant un regard d’admiration apitoyée sur son teint et le style de sa physionomie. Avec cette beauté-là, vous pourriez dégoter n’importe quel mâle. Ecoutez, Rebosa. Le vieux Mack n’est pas l’homme qu’il vous faut. Il avait vingt-deux ans quand vous êtes venue au monde. C’t’espèce de floraison qu’il exhibe ne va pas durer. Il est tout éventé de vieillesse, de ruine et de crépitude. C’est un cas de démon de midi. Le vieux Mack a laissé passer son numéro quand il était jeune ; et maintenant il fait un procès à la nature pour réclamer l’intérêt de la lettre de crédit qu’il a reçue de Cupidon au lieu de se faire payer comptant. Rebosa, tenez-vous à, la perpétration de ce mariage ?
-Mais bien sûr ! dit Rebosa, en accompagnant ces mots d’une oscillation énergique des renoncules de son chapeau. Et il y en a un autre qui y tient aussi, j’vous promets.
-A quelle heure doit se passer le forfait ? demandé-je.
-A six heures, qu’elle dit. »

Mots d'auteur


Toute forme d'art est l'aveu que la vie ne suffit pas.


Yves SAINT LAURENT

mardi 11 août 2009

La rançon de Mack - O'Henry (2)



Un soir Mack prend la parole et me demande si j’suis suffisamment versé dans les us et coutumes de l’espèce féminine.
« Oui-da ! que j’fais, d’un certain ton de voix. J’la connais depuis Adèle jusqu’à Zéphirin. La nature et le déguisement des femmes me sont aussi familiers que la topographie de Sing-Sing à un banquier américain natif de Chkipoumof (Bulgarie). Je suis à la page de toutes leurs petites contredanses et ponctuelles contradictions.
- J’vais t’dire, Andy, fait Mack avec une sorte de soupir, j’ai jamais eu le moindre ingrédient d’interpolation avec leurs prédispositions. Peut-être que j’aurais un certain penchant naturel à naviguer dans leurs parages, mais j’n’en ai jamais eu le temps. J’ai commencé à gagner ma vie à quatorze ans ; et il me semble que j’nai jamais eu l’occasion d’équiper mes ratiocinations avec les sentiments généralement exhibés à l’égard du beau sexe.
-Y’a une argumentation opposée, que j’dis, inadéquate aux points de vue. Bien que les femmes varient en rationalis, j’les ai très souvent trouvées visiblement divergentes les unes des autres en matière de contrastes similaires.
- J’ai idée, poursuit Mack, qu’un homme devrait toujours s’les incorporer et cuirasser ses inspirations quant au sexe, lorsqu’il est jeune, et en conséquence prédéterminé. J’ai laissé passer l’occasion ; et maintenant j’estime que j’suis trop vieux pour sauter à travers le curriculum.
-Oh ! j’en sais rien, que j’dis. Peut-être qu’elles ne valent pas un panier de fric, ni les réjouissances confortables qu’on éprouve à s’émanciper de leurs inclinaisons emberlificotrices. Pourtant, je ne regrette pas ma connaissance des femmes. Un homme qui comprend leurs symptômes et appartés sait qu’il doit se tenir sur ses gardes en ce monde. »
Le séjour à Pîna nous plut et se prolongea. Y a des gens qui ne peuvent pas jouir de leur fortune sans fracas, délire et locomotion ; mais Mack et moi on en avait assez des agitations et des lits d’hôtel. La population était cordiale. Ah Sing avait repéré l’espèce de cuisine que réclamait notre idéal gastronomique ; Mack et son Buckle étaient copains comme cochons ; et quant à moi, je commençais à extirper du banjo un ersatz très satisfaisant de « Buffalo Gals, Can’t you come out To-night », ting…ting tiguidi ding… vous savez ?
Un jour je reçus un télégramme de Speight, le directeur d’une mine de New-Mexico dans laquelle j’avais des intérêts. Il me fallut partir ; et je restai deux mois absent. J’avais hâte de revenir à Pîna pour y goûter de nouveau les jouissances de la vie.
Lorsque j’arrivai à la baraque, je faillis m’évanouir. Mack se tenait sur le seuil ; et si jamais les dieux peuvent sangloter, c’était le moment où jamais.
Cet homme était un vrai tableau pour la National Gallery de Pictonag-les-foins. Non, il était pire ; c’était l’authentique chef-d’œuvre pictural acheté par le Département des Beaux-Arts de Washington sur l’intervention d’un sénateur influent.
Il était affligé d’une redingote, de souliers vernis, d’un gilet blanc et d’un chapeau haut de forme, et sa boutonnière arborait un géranium de la taille de la rosette du Mérite Chevaleresque et Révolutionnaire décernée aux généraux et patriotes Boliviens.
Et il se pavanait et se tortillait le museau comme un gosse qui a la colique ou comme un infernal vendeur de grand magasin.
« Hello, Andy ! fait Mack au milieu de ses grimaces. Content de te revoir. Il s’est passé des choses depuis ton départ.
- J’m’en doute, dis-je, rien qu’au spectacle sacrilège qui offense ma rétine. Dieu ne t’a jamais fait comme ça, Mack Lonsbury. Pourquoi déshonores-tu Ses œuvres avec cette espèce de pitrerie présomptueuse ?
-Mais, Andy, qu’il fait, ils m’ont nommé juge de paix en ton absence. »
Je dévisage Mack attentivement. Il a l’air agité et inspiré. Un juge de paix doit normalement offrir un aspect mélancolique et tempéré.

lundi 10 août 2009

La rançon de Mack - O'Henry (1)


Moi et le vieux Mack Lonsbury, on avait raflé chacun 40000 dollars dans une petite affaire de mine d’or à la cache-cache. Je dis le « vieux » Mack, mais en fait il n’était pas vieux ; quarante et un ans, au jugé. N’empêche qu’il a toujours eu l’air vieux.

« Andy, qu’il me dit, j’en ai marre de turbiner. Y’a trois ans qu’on travaille dur, toi et moi. Si on laissait tomber le boulot pendant quelque temps, à seule fin de claquer un peu de ce fric somnolant qu’on a pris au piège ?

- Ta proposition me tape dans le mille, que j’dis. Voyons un peu l’effet qu’ça fait d’être des nababs. Qu’est-ce qu’on choisit, les Chutes du Niagara ou un poker ?

- Y’a des années, fait Mack, que je m’dis, si jamais t’arrive à posséder un tas d’argent extravagant, tu loueras une baraque à deux pièces quelque part, t’engageras un cuisinier chinois, tu quitteras tes souliers et tu t’étendras dans une chaise longue en lisant l’Histoire de la Civilisation de Buckle.

- Ca m’a l’air suffisamment édifiant et enchanteur, dis-je, tout en se gardant d’une vulgaire ostentation. J’vois pas comment on pourrait mieux employer son argent. Donne-moi une pendule à coucou et la « Manière d’apprendre le banjo tout seul » de Sep Winner, et j’te tiens compagnie. »

Huit jours plus tard, Mack et moi on atterrit dans la petite ville de Pîna, à environ 30 milles de Denver, et on dégote une élégante petite maison de deux pièces qui fait tout à fait notre affaire. Nous déposons une demi-becquée de dollars dans la banque de Pîna et nous serrons la main à chacun des 340 habitants de la métropole. Nous avions apporté de Denver le Chinois, le coucou, Buckle et le traité de Banjo, et avec ça on s’est toujours senti chez soi dans la baraque.

Celui qui vous dira que la richesse ne fait pas le bonheur, vous pourrez le traiter d’menteur. Si vous aviez vu le vieux Mack vautré dans son rocking’chair avec ses pieds dans des chausettes bleues posés sur la fenêtre, en train d’absorber ce truc de Buckle à travers ses lunettes, c’était un spectacle de béatitude à rendre jaloux un Rockfeller. Quant à moi, je commençais à esquisser « Old Zip Coon » sur le banjo, et le coucou faisait son entrée en mesure, et Ah Sing emmitonnait l’atmosphère d’un de ces parfums d’œufs au jambon qui tapait le chèvrefeuille de cent longueurs. Quand il ne faisait plus assez clair pour ingurgiter le fatras de Buckle et le notes du traité de banjo, moi et Mack on allumait nos pipes, et on parlait de science, et des pêcheurs de perles, et de la sciatique, et de l’Egypte, et de l’orthographe, et des poissons et des alizés, et de cuir, et de gratitude, et d’aigles, et d’un tas d’autres sujets sur lesquels on n’avait encore jamais eu le temps d’exprimer nos sentiments.


A suivre


samedi 8 août 2009

La belle histoire de Jasmine


En 2003, des policiers anglais trouvèrent dans un abri de jardin un chien apeuré qui avait été enfermé et abandonné. Il était sale, affamé, et avait manifestement été maltraité. Les policiers emmenèrent le chien, un lévrier femelle, dans un refuge près de là.
Le personnel du refuge travailla à restaurer la santé et la confiance du chien. Cela prit plusieurs semaines, mais finalement le but fut atteint. Ils l'appelèrent Jasmine, et s'inquiétèrent alors de lui trouver une famille adoptive.

vendredi 7 août 2009

Plus rare qu'une éclipse totale !


FW: plus rare qu'une éclipse totale ! ça n'arrive qu'une fois par siècle !! un alignement exceptionnel !!!

Ca n'arrive qu'une fois par siècle !! un alignement exceptionnel !!!

Attention !!!
N'oubliez surtout pas de vous réveiller tôt le 7 août pour savourer un instant unique car à 5 minutes et 6 secondes après 4 heures du matin, il sera précisément...
04:05:06 07/08/09






jeudi 6 août 2009

Paris en août


C'était un samedi, le premier samedi d'août. La matinée se traînait vers les torpeurs de midi. Paris, déserté depuis la veille, résonnait comme un appartement vide, on s'y sentait tout maigre tout chétif, perdu dans un pantalon trop grand. Les voitures clairsemées, tout étonnées de n'avoir pas le museau collé au pot d'échappement de la copine, fonçaient, chiens fous, dans ce ide rectiligne qui les happait, droit comme un dard, jusqu'à la Concorde, malheur au piéton! L'habituel matelas d'ouate sale à ras de bitume se réduisait à quelques effilochures fugaces et puait très supportablement.
Il flottait dans l'air un goût d'irréel plutôt grisant. Paris était à toi tout seul, chaque pavé, chaque garçon de café, chaque nuage, chaque femme, tu pouvais en faire ce que tu voulais. Il fallait se dépêcher d'en profiter, ça durerait un mois, pas plus. Le dépaysement des vacances, c'est à Paris, en août, qu'on le trouve. Les vacanciers ont emporté Paris-la-Merde aux Bahamas dans leurs valises, à nous Paris peinard.
En aôut, à Paris, les choses ne demandent qu'à basculer dans l'excessif. L'allégresse y devient folie, la malaise angoisse de mort. Le vide de la ville énorme fait échos et amplifie.

François CAVANNA

dimanche 2 août 2009


Mannequins (1925)

Deux hommes, cinq hommes, dix, vingt hommes… Je renonce à les compter. Ils viennent à cette solennité de la couture plus empressés qu’à une générale du boulevard. Ils font professions d’ « adorer » ces défilés de robes, de jolies filles, de tissus que leur métrage, de plus en plus réduit, contraint à une magnificence sans cesse croissante. Ils confessent bien haut leur goût pour ces solennités vestimentaires que tout couturier coté organise avec un faste théâtral et religieux. Monsieur accompagne Madame aux « présentations », et Madame hoche le menton d’un air entendu : « Oui, oui, c’est pour regarder de près les mannequins ! » En quoi elle se trompe souvent. Car Monsieur est capable de deux ou trois sentiments purs, au nombre desquels est l’amour des couleurs, du mouvement, de la forme, et surtout de la nouveauté. Il y a beau temps que l’homme a perdu, chez le couturier, son embarras de grand garçon qu’on surprend à jouer aux billes, sa gaucherie de naufragé que la tempête a jeté dans l’Ile des Femmes. Seul l’homme goûte aux défilés de modèles un plaisir complet, qui n’est pas gâté par la convoitise. Pendant que sa compagne, secrètement frénétique, renonce, le cœur en lambeaux, à une petite « création » de six mille francs, l’homme s’épanouit, se renseigne, note la taille basse de chez X…, le drapé de chez Z…, comme il retient les caractéristiques d’une école de peinture. Mieux que la femme, l’homme goûte un ensemble. Mieux que la femme il fait, en toute innocence, la part du mannequin. Tandis que la spectatrice, enfiévrée, se répète tout bas : « c’est celle-là, celle-là, cette robe-là, que je veux », le sage spectateur admire, hors d’un fourreau de bronze plus révélateur qu’un maillot, les cheveux de cuivre, la blancheur laiteuse du mannequin roux. Il sait que la tunique couleur d’absinthe et de clair de lune ne saurait quitter, sans déchoir, la jeune fille blonde parée d’une dignité de lévrier, coiffée d’une longue chevelure que le fer ni les ciseaux n’ont jamais offensée. Il comprend enfin qu’une grave mission est dévolue à celle que sa femme nomme, entre ses dents, « cette engeance », et lui fera-t-on un crime, s’il a envie de la robe, de vouloir parfois l’emporter telle que le couturier l’a conçue, c’est à dire sur les épaules de la rayonnante jeune femme dont il n’entend jamais la voix ?
Bref, l’homme se sent désormais chez lui, partout où s’élabore et s’exhibe le luxe féminin, et le plus récent snobisme l’y met à l’aise, car il rencontre, aux défilés de la couture, le peintre consacré par la mode, la femme du monde et son romancier, le parlementaire et son Egérie. De l’un à l’autre groupe, le mannequin glisse comme une longue navette étincelante, et jette les rets. Collaboratrice inquiétante, c’est au mannequin qu ‘aboutit un faisceau d’efforts dont personne ne méconnaît plus l’importance. Le public estime à sa valeur la tâche du tisseur, du modéliste, du coupeur, de la vendeuse, celle du couturier qui les dirige : arrivé au mannequin, il se réserve, rêve, admire ou suspecte. Parmi les formes modernisées de la plus luxueuse industrie, le mannequin, vestige d’une barbarie voluptueuse, est comme une proie chargée de butin. Elle est la conquête des regards sans frein, le vivant appât, la passive réalisation d’une idée. Sa profession ambiguë lui confère l’ambiguïté. Déjà son sexe, verbalement, est incertain. On dit « ce mannequin est charmante » et son travesti consiste à simuler l’oisiveté. Une mission démoralisante la tient à égale distance du patron et des ouvrières normales. N’y a-t-il pas là de justifier, excuser l’étrange humeur et le caprice du mannequin ? Aucun autre métier féminin ne contient d’aussi puissants facteurs de désintégration morale que celui-là, qui impose à une fille pauvre et belle les signes extérieurs de la richesse.
« Patience, me dit-on, tout cela va changer ; l’évolution du mannequin est en route… nous, couturiers, nous ferons du mannequin une collaboratrice fidèle, honorablement appointée, exacte, qui pourra vivre régulièrement de sa beauté et de sa grâce… »
Messieurs de la Couture, je voudrais vous croire. Mais vous n’y êtes point encore, ou je me trompe. Vous appointerez, c’est entendu, et jusqu’à quarante mille francs l’année, paraît-il, l’épaule fringante, le noble col, la royale démarche de celles qui, avant toutes les autres créatures féminines, exaltent les œuvres de votre génie ? D’accord. Vous aspirez à donner au mannequin non seulement des honoraires suffisants, mais encore votre estime et la confiance que mérite, par exemple, votre première vendeuse. Vous ne voulez plus voir, chez vous, votre Diane élégante et plate défaillir et bâiller, après quels laisser-courre nocturnes. C’est d’un honnête homme, et d’un cœur pitoyable. Mais la beauté est une chose, et le fonctionnarisme une autre. La beauté s’accommode d’être admirée et vous l’armez pour qu’on l’admire davantage. En appareil de guerre et d’amour, vous dites à la Beauté : « Ceci est ton domaine, tu n’iras pas plus loin. Dispose de ce salon, de cette galerie, pour ta promenade de fauve. Va, reviens, retourne-t-en, reviens encore. Demi-nue, tu ne connaîtras pas le froid, sauf à l’heure où, retirée des regards, tu te sentiras loin d’eux frissonnante. Prends garde que nous te voulons, cette année, dépourvue d’une chair douillette, et dure comme une championne. Mais tu ne peux te livrer à aucun sport, donc mange le moins possible et ne t’amuse pas à acheter des marrons grillés, au coin de la rue… »
Chimériques ! vous voulez que, prisonnières de votre luxe, abreuvées de café, privées de l’occupation manuelle qui rège le battement du cœur et rythme la pensée, vos mannequins à la beauté agressive se fassent des âmes de comptables ! Vous n’êtes point au bout de vos peines. Mais votre effort est un louable effort. En attendant que le succès le couronne, en attendant que l’appât du gain, le goût de la tranquillité et de l’indépendance forment pour vous de belles jeunes femmes au front paisible et à l’âme sans désirs, gardez, recrutez le mannequin et son caprice. Vous lui passerez encore, pendant un temps que nul ne peut fixer, sa neurasthénie, ses bâillements nerveux, sa crise de larmes, sa langueur imprévue, son illumination passagère qui la signale aux hommages, sa désinvolture à fouler aux pieds, comme un sol natal, un luxe incomparable, - vous lui passerez tout ce que vous tolérez, ce que vous respectez chez son frère supérieur, l’artiste.
COLETTE